
La chambre Bleue
Notre vie est souvent basculée d’une couleur à l’autre. Une impermanence qui nous guide vers le blanc, le vert, le Rouge, le bleu…Des teintes qui font espérer et d’autres qui apaisent.
Pureté ou froideur. Force ou douceur.
Des couleurs dictatrices de nos existences.
En tous cas, je ne pourrais plus jamais les exclure de mon parcours depuis cette année écoulée dans cette maison.
La chambre bleue m’a fait très peur. Elle m’a fait croire en autre chose et cette couleur ne sera plus jamais le même.
Il y a vingt ans, ma femme et moi avons réalisé notre premier achat immobilier. Une belle maison de la campagne varoise nos a ouvert ses portes un matin d’automne. Notre vie de jeunes mariés pouvait débuter avec tout cet enthousiasme optimiste que les naïfs apprivoisent avec tendresse.
Tout à débuté le jour de la contre visite. Nous étions, alors, décidés pour acheter la demeure et cette journée finalisait administrativement l’achat. Ce jours-ci, le vendeur était présent. Ce nouveau divorcé portais sa peine et l’atmosphère était assez pesante. Il était triste de se séparer de son bien. Le lieu semblait, encore, détenir l’espoir de sa vie. Il nous fit, ainsi, visiter en racontant quelques anecdotes d’existence heureuse comme symbole d’un passage. A l’étage, il y avait trois chambres et une salle de bain. L’une d’entre elle était peinte d’un bleu saturé qui faisait tourner la tête. C’était angoissant et notre premier projet était de changer la couleur. En entrant dans cette pièce, le vendeur nous dit avec détachement:
«Cette chambre est la plus froide de la maison. Mon fils n’a jamais pu y dormir.»
Il paraissait perturbé. Il resta quelques minutes sans rien dire. Hypnotisé. Envoûté. Puis il parti sans terminer la visite. Un malaise passa brièvement et nous sommes redescendus. On avait déjà visité une semaine plus tôt et notre décision était prise. Fi de cet instant.
La chambre bleue était ouverte.
Deux mois plus tard on emménagea. Notre première fille naquis deux semaine après. On étais heureux. Sans craintes.
La chambre bleue ne servait, alors, que de débarras. Les travaux seraient pour plus tard. On avait le temps.
Elle resterait bleue et considérée comme un placard immense où l’on peut stocker tout ce que l’on veut.
Et le temps fit son œuvre…
Au début, la vie était nouvellement belle. Nous étions heureux comme ces jeunes mariés entrant dans la vie avec hardiesse et confiance.
Mais très vite, nous fûmes perturbés par des bruits étranges … le soir. Nous étions devant la télé et ils nous semblaient entendre des pas à l’étage. Dans un premier temps, ces sonorités peu communes nous faisaient rire … Une maison a toujours son lot de bizarreries. Mais au fil du temps, ces bruits se répétèrent de plus en plus. Des pas lourds qui nous réveillaient même en pleine nuit. Ma femme devenait craintive.
On faisaient le tour des pièces, du grenier, de la cave et du jardin sans rien trouver qui pouvait expliquer cela.
Un soir, des ombres apparurent. Quand il y avait les bruits, nous les apercevions dans le couloir de l’étage. Nous laissions la lumière allumé pour notre fille, et assis sur le canapé du salon, on voyait ces ombres furtives. Comme une personne qui passait rapidement d’une pièce à l’autre. Et toujours rien quand on allait voir.
Les mois passèrent et ma femme devenait de plus en plus terrorisée. On ne rigolait plus.
Durant un week-end, on invita un couple d’amis. Nous avions, alors préparé la chambre bleue pour qu’elle les accueille. Durant trois nuits, il n’y eu aucunes manifestations.
Puis tout recommença la semaine suivante.
Ma compagne me fit, alors, remarqué que la chambre bleue était fermée pendant les trois jours où il ne se passa rien. On testa la nuit suivante. Rien. Une semaine. Rien.
Quand la chambre bleue était fermée, il n’y avait aucun bruit.
On fut soulagés et perturbés. Que se passait-il dans cette pièce?
Un jour, je rentrais du travail plus tôt que prévu. Le silence régnait dans la maison. Ma petite était dans le parc. J’appelle, inquiet, ma femme. Pas de réponses. Je monte à l’étage et la retrouve dans la chambre bleue. Elle était debout, le regard dans le vide, les larmes aux yeux. Je frôle son épaule et elle se recule brusquement. Elle était surprise comme si elle venait de se réveiller d’un terrible cauchemar.
Elle était terrorisée sans se souvenir de la raison qui l’avait poussé à venir dans la chambre.
J’étais, ainsi, définitivement certain que ce lieu abritait le mal.
Nous avions beaucoup de difficultés à trouver la sérénité des premiers jours. Notre relation de couple en pâtissait et notre fille ne dormait plus…
Un soir, le couple qui était venu dormir mangea à la maison. Durant le repas, on a parlé de cette chambre. Dans en vérité glaçante, ils nous ont dit: «Elle est bizarre cette pièce, on est désolé mais on ne viendra plus jamais dormir ici…».
Le trouble frappa à notre porte.
Après une année passée, j’ai eu l’occasion de changer de poste et de muter à Marseille.
Sans trop réfléchir mais avec une certitude affirmée, on a, donc, décidé de déménager et de vendre la maison au plus vite.
Une vie beaucoup plus apaisée débuta. La famille s’agrandit et notre nouveau foyer nous offrait tout le calme recherché. Nous avions laissé une agence se charger de la vente de l’ancienne maison et tout s’est passé très vite, un jeune couple ayant acquis le bien quelques semaines plus tard.
Et la vie s’écoula avec tendresse.
Une dizaine d’années après, on revint dans la campagne varoise au détour d’une compétition de gymnastique de notre aînée. Notre ancien voisin nous invita, alors, à manger. On accepta sans se soucier de la suite. En arrivant, on fut surpris de retrouver une maison laissée à l’abandon. Elle était presque délabrée. Pendant l’apéro, on demanda ce qu’il s’était passé. Notre ami secoua la tête et nous expliqua: «Le mari a pété les plombs. Un jour, il menaça sa femme et ses enfants avec un fusils. Les policier sont venus et la rue fut bloquée pendant une après-midi. Le gars était fou. Il avait tout cassé dans la maison … Et puis le divorce et la vente. Mais personne n’a voulu la racheter. Elle est comme ça depuis.»
On était surpris. On a changé de sujet et la soirée passa. En partant, je me suis approché de la maison. Derrière le grillage, je pouvais apercevoir des gravats, des tas de sable et plein de déchets. Vers le mur de la maison, je remarquai, alors, des pots de peintures. Il devait en avoir une trentaine. Je pris mon téléphone et alluma la torche pour distinguer au mieux ces pots.
Je vis, alors, ces pots de peinture étalés ça et là déversant cette couleur devenue démoniaque.
Le bleu de la chambre.
CP 2