
Tu danses avec moi ?
Un adolescent, n’arborant que si peu de confiance en lui, s’avance avec discrétion sur la piste de danse. Elle ne le regarde même pas, grisée par l’ignorance et le mépris de ceux qui sont si beaux aux yeux de ces tendres rêveurs. Il s’approche d’elle, malgré tout, et, bravant la peur, lui tend la main. Sourires délicats. Elle le regarde et s’enhardit de cette lueur qui ne craint pas la joie.
« – Tu danses avec moi ? »
- Oui ! »
Ils s’évadent, ainsi, dans ce slow qui tendra le temps pour le rendre si doux.
Et le souvenir deviendra cette fondation du cœur, cet espoir de vie et cette croyance farouche en la féerie de l’amour de l’autre. Unis au-delà des différences.
Et maintenant, que reste-t-il de ces pas de danse naïfs ?
Devenu grand apeuré de la vie, je voudrais tant danser avec l’autre ! Mais il ne veut plus. Le partenaire s’efface et la crainte se joue de moi, de nous. L’année amère que nous traversons nous convit avec démence dans une valse macabre. Les super-héros meurent et l’on tue ceux qui tente de transmettre le savoir. On assassine les âmes qui se recueillent et l’on menace les impertinents.
Aujourd’hui, les valeurs de chacun s’éloignent. La pensée mal habile est monstrueuse de hargne. Divergence et jugement aiment tant comparer et se hausser sur la place du mieux.
Les danses ne se succèdent plus. On crie. « Il n’a pas le même rythme. Elle ne connaît pas nos pas. »
On s’insulte et, bientôt, on se tue.
Ce samedi soir où le timide osait tendre la main à la plus belle s’est évadé. Cette soirée où on dansait ensemble malgré nos contradictions n’est plus qu’une utopie. Perdue.
A la fin de la musique, il n’y aura plus que les larmes, la peur… et la mort.
Que deviendra ce gamin venu demander la main de cette fille ? De cet homme, de cette femme, de ce noir, de ce blanc, de ce timide, de cet exubérant, de ce beau, de ce laid, de ce catholique, de ce musulman, de cet impertinent, de cet ignorant, de ce croyant, de cet insouciant …
La danse aurait pu les unir … le temps de la réunion de leur rythme et de leur compassion.
Millions de cœurs 49