
Elle me regarde à nouveau
Assis dans cette chambre d’hôpital avec ma fille, je regarde ce sol vert qui ressuscite les démons perdus. Le service de pédiatrie nous éblouit de sa blancheur incandescente.
Je ne voulais plus revenir en ces lieux aseptisés et emplis du drame latent.
Ces derniers jours furent la suite nauséabonde de symptômes qui alarment et terrifient. Et la peur est arrivée. Encore pour elle… encore.
Il ne reste plus que les IRM, les échographies, les prises de sang et l’amertume de ne pas savoir.
Nous attendons les résultats avec l’impatience des égarés. On ne parle pas. On ne parle plus. Ses yeux de bébés ont laissé la place à un regard d’enfant qui comprend. Les cicatrices de ce printemps maudits viennent harceler mon âme. En cette matinée de septembre, elles brillent si fort sur son front.
Apeurée, elle se terre dans le silence et son regard se perd dans le mien. Je ne sais plus quoi dire ; les mots sont devenus d’inoffensifs perdus, des lamentations égarées, des cris cachés.
Elle se recroqueville sur elle-même pour se protéger du temps et de ces annonces qui glacent le sang.
En colère et peiné, l’injustice me foudroie et je n’ai plus que haine et désarroi. Hurler le pourquoi et gémir la jalousie.
Que ma furie revienne danser avec moi, masquée, heureuse et peut-être un peu mélancolique de ce temps où on ne savait plus !
J’attends l’étoile filante et ces trésors de mots noirs sur papiers blancs qui rassureraient tant. Un cortège de vœux me suit et je ne pourrais conjuguer le beau au passé. Je crie aux oreilles de ces impolies qui ne s’offrent que l’ignorance.
Elle me regarde encore. Fatiguée.
Comme je regrette ces lieux où l’on imaginait, ces temps où il suffisait de respirer.
Mes trésors ne sont plus assez grands pour user de leur pouvoir de rédemption. Tristesse.
Et je n’ai que son regard. Solitude.
On se disloque. Le mal arrive et prend place à ce banquet improvisé par une vie qui se voudrait si belle de surprises. La lune s’invite dans le miroir de mes peurs, celui qui reflète la vérité.
On revient au point de départ, haletants, troublés, entre ces murs clairs.
Mes mots poursuivent leur lente agonie sur la page blanche de la peur. J’éclabousse ma noirceur sur le papier pour tenter d’éclairer la pièce.
Il n’y a plus que le temps, son regard et notre attente.