
En Manicle …
On va aller se promener …
Je ne fais que désarticuler les souvenirs d’avant et les récits d’aujourd’hui, pour offrir l’illusion de souffler sur ces particules aux services du beau. Car tant qu’il y aura ce chemin qui mène jusqu’à ces vignes, les mots deviendront couleurs pour que le peintre distille la plus lumineuse des teintes.
Je lui cours après pour la rattraper et monter comme elle sur le mur. Avec son chapeau de paille, sa blouse bleue, son bâton de bois et la mine de ceux qui ne veulent rien dévoiler, elle hurle qu’il ne faut pas grimper sur ces tas de pierres. Avec ma cousine, on rit de l’entendre et l’on saute de rochers en rochers, de la route aux champs, des chemins aux allés des maisons. Les insectes s’esclaffent du printemps naïf et le soleil cuit tendrement nos peaux d’enfants.
Dans le village, je raconte à ma fille que dans cette maison vivait un vieil homme qui vendait du pain et des fraises tagada. Je lui confie que je glissais sur des cartons dans les pentes en herbes et que nos vélos fusaient dans les rues du village. Les façades ont changé mais l’ambiance s’est figée sur la route d’il y a trente ans.
Avant. Maintenant. Je ne sais plus… une mélancolie heureuse agrippe mes entrailles, les larmes me glacent les yeux et je repars en cette après-midi de juin.
On tourne à gauche pour aller se perdre en Manicle. Je glisse ainsi le long de cette route sinueuse collée à la montagne et perdue vers la voie ferrée. Nous sommes seuls avec des fleurs, des abeilles, des guêpes, des serpents cachés, les chants des oiseaux et le souffle du vent chaud sur nos bouilles de gamins.
Ma cadette me prend la main et voudrait tout savoir. Je lui laisse échapper quelques instants de ces heures éclairées par le soleil. On joue à Chat perché, à « poule ou coq », aux pirates … Nos épées en bois sont des armes magnifiques et nos duels sont épiques comme il y a si longtemps. Mon fils grimpe sur mes épaules et s’engouffre dans le panorama. La forêt à fleur de montagne se perd dans le chant délicat d’une cascade en contre-bas. Je lui raconte, alors, qu’un jour ce sentier m’a pris la main pour me conduire là-bas, si près du rêve.
On arrive sur le coteau pour entendre les vignes respirer. Le vert des arbres se heurte sur les éboulis de rochers marron clair. Des papillons aussi sauvages que magnifiques caressent les pieds de ce raisin nouveau-né et pas encore convié à la vendange. On court entre les allées et sa voix raisonne. On la perd pour la retrouver et rire encore.
Mes enfants se blottissent et me soufflent : « regarde papa comme c’est beau ici ! »
Je leur réponds, cœur léger et visage enfoui dans cette vue que la pente ose nous offrir :
« Je sais mes enfants… je suis déjà venu ici… il y a longtemps. »
De ONE LOVE à EDEN KARMA92