
Perdu
J’ai froid. J’ai peur. La lumière me fait surgir dans un présent qui n’est plus le mien depuis déjà si longtemps. Je suis ébloui par ces néons glacés. Pieds nus et survêtement sale se dérobent à un blouson obscur qui me colle à la peau. Mes mains me harcèlent de leur noirceur.
Que fais-je dans cet état ? Où suis-je ?
Le rayon surgelé d’une grande surface se dévoile. Celle que je connaissais tant. Celle qui me faisait croiser tous ces gens. Celle d’avant …
Mon réveil est rude et la honte se braque à ma douleur. Mes tripes sont acides ardant et je tremble déjà. Ma mémoire n’est plus car elle se noie avec l’alcool allié de ma chute.
Comment suis-je arrivé ici ?
Un gamin me regarde et je ne sais plus comment vivre. Sa mère lui prend la main et me foudroie d’un regard juge de pitié et de crainte. Ils partent. Je dois me sauver aussi. Vite. D’autres vont bientôt se charger de rugir sur le dos de ma faiblesse et ils auront bien raison. Je me retourne et croise une bande d’adolescents. Ils passent en rigolant de me voir ainsi. Je les connaissais peut-être … J’ai tout perdu … même la dignité de faire face à mon déclin.
Pourquoi ?
Parce que je n’ai pas été assez ! A ma place dans cette vie rêvée où tout s’est évaporé. Cassé. Broyé. Et j’ai brulé une existence à ne plus savoir comment la vivre.
Je suis, maintenant, seul. Perdu.
La lâcheté de m’évanouir au plus vite du présent me force à boire pour disparaître dans le néant. Oublier que j’aurai pu faire beaucoup mieux. Danser avec des démons ivres pour ne pas accepter les échecs. Se saouler pour ne plus se battre.
Je m’en vais…
Ma vie n’est plus que points de suspension…
Je ne suis plus celui qui a été un homme, un père et un mari.
Je suis devenu celui qui n’est plus rien, qui a oublié de vivre et qui ne lui tient plus la main.
Millions de cœurs 62